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Maarten Couttenier,
historien et anthropologue au Musée royal de l’Afrique centrale
Quand La Belgique montrait les « sauvages »
Malgré le lien historique étroit entre la Belgique et le Congo, les premiers humains exposés dans les zoos humains venaient d’Amérique du Sud (14 Araucaniens dans le zoo animal du parc Léopold à Bruxelles) et d’Australie (sept Aborigènes au Musée du Nord1).
C’est dans le cadre des premières expositions universelles en Belgique que les premiers Congolais et autres Africains ont été présentés à Anvers et à Tervuren. Les visiteurs ont pu en voir 12 à Anvers en 1885, 144 en 1894 dans la même ville et 327 à Tervuren en 1897. Chaque fois, le « village nègre » attirait un large public qui pouvait assister à des scènes de la vie quotidienne africaine, jouées par des « acteurs vivants » dans un musée en plein air. Si l’événement de 1885 avait été envisagé comme une visite diplomatique qui, certes, a satisfait la curiosité pas toujours saine des visiteurs, les Congolais anonymes exposés neuf ans plus tard, parmi lesquels 80 membres de la Force publique2, se réduisaient davantage à des « objets » dans un village avec des huttes, pirogues et plantes « authentiques3 ». Dans le parc de Tervuren, lors de l’exposition universelle, les 267 Congolais se trouvaient dans trois villages « traditionnels » différents, tandis que 60 élèves de l’Abbé Van Impe4 montraient leurs « aptitudes pour la civilisation » dans un village séparé5. Sept Congolais ne devaient jamais retourner au pays et sont aujourd’hui enterrés près de l’église de Tervuren, haut lieu de mémoire en Belgique.
À cause de la débâcle de 1897 (le « village nègre » a été vivement critiqué dans la presse anticoloniale), le « village congolais » était absent pendant les expositions universelles belges suivantes. Des « villages » sénégalais (Liège 1905, Gent 1913, Anvers 1930), japonais (Charleroi 1911), philippin (Gent 1913) ou indien (Bruxelles 1935) continuaient cependant d’exposer hommes, femmes et enfants en Belgique et en Europe. Seul le public américain pouvait encore observer Ota Benga6 et neuf autres Congolais pendant l’exposition universelle de Saint-Louis en 19047.Ce n’est qu’en 1930 que des membres de la Force publique ont de nouveau été invités à l’Exposition Universelle d’Anvers, où ils ont rendu hommage au sept Congolais morts en 1897 à Tervuren8.
Malgré les mauvaises expériences de la fin du XIXe siècle, le « village nègre » a été réintroduit à l’occasion de l’Expo 58. Comme avant, les Congolais devaient y montrer leurs métiers « traditionnels », confirmant l’image et le stéréotype de l’africain « primitif9 ». Certains membres de la société congolaise, choqués par les réactions irrespectueuses du public « primitif » belge, ont quitté la Belgique quelques jours après l’ouverture du zoo humain. Rappelons que, malheureusement, l’exposition de gens d’autres cultures existe encore de nos jours. Ainsi, en 2002, des pygmées Bakas du Cameroun étaient exposés à Yvoir dans un but « humanitaire10 ».
- Force armée de l’État indépendant du Congo, qui assurait aussi la police.
- Maarten Couttenier, « “Et on ne peut s’empêcher de rire” : la physio-anthropologie en Belgique et au Congo (1882–1914) », in Bancel, David et Thomas ed. L’invention de la race. Des représentations scientifiques aux exhibitions populaires (Paris : La Découverte, 2014), p. 117–132.
- Zana Aziza Etambala et Joan Ramakers, In het land van de Banoko : de geschiedenis van de Kongolese/Zaïrese aanwezigheid in België van 1885 tot heden (Leuven : Hoger Instituut voor de Arbeid, 1993), p. 12–14.
- Directeur de l’Institut Saint-Louis de Gonzague de Gÿzen en Belgique qui montrait que des garçons congolais étaient, grâce à une “bonne instruction”, capables d’être “civilisés”.
- Maurrits Wynants, Des ducs de Brabant aux villages congolais : Tervuren et l’exposition coloniale 1897 (Tervuren : Musée royal de l’Afrique centrale, 1997).
- Pygmée congolais exposé au zoo de New York, qui a fini par se suicider.
- Bradford et Blume, Ota Benga. The Pygmy in the Zoo (New York : Delta, 1992).
- Rudy Doom, « De wereldtentoonstellingen en de koloniale propaganda », in Nauwelaerts et. al. ed. De panoramische droom. Antwerpen en de wereldtentoonstellingen 1885–1894-1930 (Antwerpen : Antwerpen 1993 vzw, 1993), p. 194–207.
- Sarah Van Beurden « Un panorama de nos valeurs africaines. Belgisch Congo op Expo 58 », in Ceuppens, Viane et Van Reybrouck ed. Congo in België. Koloniale cultuur in de metropool (Leuven : Universitaire Pers, 2009), p. 299–311.
- Karel Arnaut, « De menselijke zoo na Abu Ghraib. Volkerenshows in tijdens van reality tv », in Sliggers et Allegaert ed. De exotische mens Andere culturen als amusement (Tielt : Lannoo, 2009), p. 152–164.