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Robert Moor,
président du Centre d’Action Laïque de la Province de Liège
Le mot du président
De la fin du XVe siècle au XVIe siècle, les grandes puissances européennes financent des voyages scientifiques, économiques et « missionnaires » qui vont permettre aux Occidentaux de « découvrir » notamment les Amériques, le Canada, l’Inde et l’Australie. Les explorateurs se confrontent aux populations locales et à leur aspect physique, leurs coutumes et croyances qui diffèrent évidemment des leurs. Ces humains « découverts » le sont-ils vraiment ? Durant près de quatre siècles et demi (1492-1960), ces temps de conquêtes du vaste monde consacreront la toute-puissance des États occidentaux qui conduira à la colonisation de nombreux pays. La Belgique n’y échappera pas — certes tardivement — avec le Congo belge, d’abord propriété privée du Roi Léopold II puis de l’État belge, à partir de 1908. Les Congolais seront traités comme des « sauvages » à qui notre pays apporte la « civilisation », via les industriels et missionnaires belges, les premiers très intéressés par les richesses minières et agricoles du Congo et les seconds par… l’âme de ces indigènes. Pendant des siècles, sous le joug des Occidentaux, ils seront jugés comme des êtres de races inférieures, aux mœurs étranges.
Les royautés européennes feront venir des spécimens d’humains plus petits ou plus grands, d’autres couleurs de peaux, vêtus différemment ou… dévêtus, pour marquer leur toute-puissance et leur goût pour l’exotisme, et légitimer la domination coloniale. Au XIXe siècle, avec l’essor industriel des nations d’Europe et d’Amérique du Nord, des expositions universelles vont voir le jour (Paris, Bruxelles, Liège, Londres, Milan, Philadelphie, Vienne…) et de grands shows seront présentés au public?; Buffalo Bill et ses indiens mis en spectacle parcourront le Vieux Continent et le Nouveau Monde?; des villages seront construits, peuplés notamment de populations africaines, japonaises, australiennes ou sud-américaines. C’est l’Américain Barnum et le Hambourgeois Carl Hagenbeck, grand fournisseur d’animaux pour les zoos, qui assureront le succès de ces événements racistes et la fourniture des acteurs de ce qu’il faut bien appeler des « zoos humains ».
Les zoos humains nous plongent au plus profond de la nature humaine, prompte à juger l’Autre, à le dévaloriser pour se rehausser, à pointer les différences plutôt que ce qui unit tous les hommes et femmes en une commune humanité. Comme le dit le paléontologue et anthropologue Yves Coppens : « Nous possédons une origine unique : nous sommes tous des Africains d’origine, nés il y a trois millions d’années, et cela devrait nous inciter à la fraternité. » Le racisme n’est pas une théorie scientifique, mais un ensemble d’opinions extérieures à celui qui les exprime et servant plutôt à justifier des attitudes et des actes discriminatoires contre lesquels il est prioritaire de s’élever, au nom de l’égalité et de la solidarité. L’avenir en dépend !
L’exposition Zoos humains. L’invention du sauvage présentée à La Cité Miroir est un formidable outil d’éducation et de conscientisation, inédit en Belgique par son parcours et les œuvres proposées. À voir absolument !