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Luc Vandormael,
président de la Fédération des CPAS.
Le Centre Public d’Action sociale, principal outil social local
La gestion du dernier filet de protection sociale par le pouvoir public local est historique. Les Bureaux de Bienfaisance, obligatoires dans chaque commune depuis 1835, les Commissions d’Assistance publique dès 1925 et les CPAS depuis 1977, sont les jalons de cette histoire. Les CPAS sont aujourd’hui une entité juridique propre, distincte de la commune, dont les trois missions principales sont d’accorder le droit à la dignité humaine, le droit à l’intégration sociale et le droit aux secours.À quelles difficultés les CPAS sont-ils confrontés dans l’exercice de leurs missions ?
Ce dernier filet de protection qui devait être résiduaire ne l’est absolument plus. Il y avait 8 000 bénéficiaires du minimex pour l’ensemble du pays en 1974 et il y a maintenant quelque 160 000 bénéficiaires du revenu d’intégration (RI). Le chiffre a donc été multiplié par 20 en 50 ans. En Wallonie, les dossiers représentent désormais trois quarts du nombre de chômeurs complets indemnisés et, si on considère les jeunes de 18 à 25 ans, ceux-ci sont (nettement) plus nombreux au CPAS qu’au chômage ! Ces chiffres n’illustrent que la partie visible de l’iceberg puisqu’il faut y ajouter les personnes, de plus en plus nombreuses et en ce compris des travailleurs, qui sollicitent une aide sociale complémentaire à leurs revenus pour pouvoir survivre. Le nombre de personnes à risque de pauvreté et d’exclusion sociale confine à 20 % de la population. Or, les législations qui régissent les CPAS n’ont pas été adaptées en conséquence, de sorte que, notamment, leur équilibre budgétaire pèse de plus en plus sur les villes et communes. Chaque fois qu’on exclut un chômeur on appauvrit le pouvoir local, sachant que le coût du RI pèse sur le CPAS à raison de 45 à 30 % en fonction du nombre de dossiers.
Une autre difficulté est apparue avec la mise en place des politiques d’activation (ndlr : le fait de conditionner les aides à une attitude active du bénéficiaire), s’agissant dès lors pour les décideurs locaux de distinguer le bon pauvre actif qui mérite l’aide, du mauvais pauvre qui se complairait dans l’assistance et qui doit être sanctionné. L’accent mis sur la responsabilité individuelle introduit de la subjectivité dans l’appréciation du droit, avec des décisions qui varient fortement d’un CPAS à l’autre en fonction du regard posé sur les bénéficiaires. Une telle évolution qui amplifie le contrôle génère un sentiment de défiance réciproque entre les bénéficiaires et les travailleurs sociaux et constitue une des principales sources du non-recours aux droits.
En résumé, il existe une triple pression : sur les usagers vulnérabilisés, avec une explosion des problèmes de santé mentale, sur les travailleurs saturés et sur l’institution sous-financée.
Comment y remédier ?
(…) En résumé, il existe une triple pression : sur les usagers vulnérabilisés (…) sur les travailleurs saturés et sur l’institution sous-financée.
La Fédération des CPAS wallons a énoncé différentes revendications dans son mémorandum : le relèvement de toutes les allocations a minima au seuil de pauvreté avec relèvement concomitant des bas et moyens salaires pour éviter les pièges à l’emploi ; la fin du statut de cohabitant, vecteur d’appauvrissement et de solidarités empêchées ; l’automatisation des aides en lieu et place de démarches multiples et complexes qui aggravent le non-recours aux droits ; une réflexion sur l’inconditionnalité du droit à un revenu de base minimum ; le relèvement du taux de remboursement fédéral du RI à 90 % ; le renforcement des équipes et la revalorisation des métiers en restituant leur sens (l’accompagnement social fondé sur une relation de confiance) ; la refonte des systèmes d’activation en priorisant la logique d’inclusion globale et personnalisée en fonction des besoins divers et des circonstances plutôt qu’une intégration unilatérale, normative et « sanctionnante » ; plutôt que le système actuel des appels à projets circonstanciels, un refinancement structurel des CPAS.
Quels enjeux dans le cadre des prochaines élections communales ?
Outre ces revendications, l’enjeu majeur sera le sort réservé aux chômeurs de longue durée. Leur renvoi pur et simple vers les CPAS sans moyens complémentaires pour ceux-ci serait une catastrophe. L’octroi de moyens complémentaires aux CPAS ne réglerait pas tout puisque les chômeurs cohabitants risqueraient de perdre tout revenu (surtout les femmes1). L’alternative reste une sécurité sociale consolidée avec des CPAS positionnés comme pivots des politiques sociales locales pour développer des pratiques émancipatrices et intersectorielles dans la proximité.
- Au chômage, la personne cohabitante perçoit une allocation quel que soit le montant des revenus de son conjoint. Au CPAS si les revenus mensuels du conjoint dépassent l’addition de 2 allocations au taux cohabitant (soit 2x 858,97 euros = 1 717,94 euros), le cohabitant n’a droit à rien.