• David Talukder
    David Talukder
    chercheur postdoctoral à l’Université de Namur.

La fin du vote obligatoire ?

La Belgique est un des rares pays où le vote est obli­ga­toire. Le taux de parti­ci­pa­tion élec­to­rale y a par consé­quent toujours été élevé en compa­rai­son avec d’autres pays. Cela est notam­ment dû au fait qu’une propor­tion non négli­geable des élec­trices et des élec­teurs se rendent aux urnes afin de respec­ter la loi ou par conven­tion sociale. Cet effet du « devoir civique » est impor­tant car, en dépit du fait que les sanc­tions soient rare­ment appli­quées, les électeur·trices conti­nuent de se rendre aux urnes en masse. Une réforme abolis­sant le vote obli­ga­toire au niveau local (commu­nal et provin­cial) a néan­moins récem­ment été adop­tée en Flandre. Cette réforme a prin­ci­pa­le­ment été portée par l’OpenVLD dont l’argument est que la citoyenne et le citoyen doivent rester libre de se rendre aux urnes sans contrainte de l’État. Quelles pour­raient être les consé­quences de cette réforme selon la litté­ra­ture scien­ti­fique en sciences politiques ?


La première consé­quence évidente que nous devrions obser­ver est une baisse méca­nique de la parti­ci­pa­tion aux élec­tions locales. Néan­moins, l’ampleur de cette baisse dépen­dra de plusieurs facteurs. Au niveau macro, la parti­ci­pa­tion est liée à la teneur de l’enjeu élec­to­ral. Par exemple, lorsqu’il est peu probable que le parti au pouvoir perde les élec­tions, la parti­ci­pa­tion peut bais­ser. La parti­ci­pa­tion pour­rait égale­ment être plus élevée dans les envi­ron­ne­ments avec une faible densité de popu­la­tion et où la proxi­mité avec les candidat·es est géné­ra­le­ment plus forte. Enfin, il pour­rait égale­ment y avoir un effet de fatigue « élec­to­rale » lié aux élec­tions légis­la­tives de juin.
Au niveau indi­vi­duel, certaines citoyennes et certains citoyens décident d’aller voter pour ne pas enfreindre la loi ou par crainte de sanc­tion. La réforme devrait ainsi induire une baisse de la parti­ci­pa­tion de ces personnes, à condi­tion que celles-ci soient au courant de cette nouvelle règle (ce qui n’est pas toujours le cas). D’autres personnes se rendent égale­ment aux urnes par conven­tion sociale. La proba­bi­lité d’aller voter est, par exemple, plus élevée lorsque l’individu ressent une forme de pres­sion sociale. Enfin, le fait d’être insa­tis­fait avec la poli­tique, par ailleurs déter­mi­nant-clé du vote pour des partis protes­ta­taires en Belgique, risque d’augmenter l’abstention.
Mais s’il faut souli­gner une dimen­sion majeure de la réforme, c’est celle des consé­quences possibles sur les inéga­li­tés de repré­sen­ta­tion. La litté­ra­ture scien­ti­fique montre très clai­re­ment que les citoyennes et les citoyens ayant le plus de ressources (en termes de reve­nus, de diplômes et d’intérêt pour la poli­tique) sont les plus prompt·es à aller voter. La réforme risque de dimi­nuer dras­ti­que­ment la parti­ci­pa­tion poli­tique des franges de la popu­la­tion les plus fragi­li­sées. À plus long terme, cela pour­rait inci­ter les partis poli­tiques à axer leur programme sur un plus petit ensemble d’« élec­trices et élec­teurs qui vont voter » et dont les carac­té­ris­tiques ne reflètent pas l’ensemble des élec­trices et élec­teurs. Ceci ne ferait qu’accentuer les inéga­li­tés de repré­sen­ta­tion déjà présentes lorsque l’obligation de vote est respectée.


  1. Cela pour­rait aussi avoir pour but de dimi­nuer la part de vote contes­ta­taire envers des partis de gauche/droite radicale.
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