• Nicolas Bernard
    Nicolas Bernard
    professeur à l’Université Saint-Louis à Bruxelles et professeur invité à l’UCLouvain

statut de cohabitant·e : connaître ses droits

Que le statut de cohabitant·e péna­lise la soli­da­rité par le loge­ment est un constat (malheu­reu­se­ment) connu ; on n’y revien­dra pas dès lors. Qu’il soit permis ici de bras­ser plutôt une série d’arguments de droit pour lutter contre le taux coha­bi­tant et suscep­tibles d’augmenter d’autant ses chances d’obtenir un taux isolé, dans l’attente d’une révi­sion de fond du système.


Invo­quer la loi et la juris­pru­dence, tout simplement

La première chose à faire, c’est de connaître ses droits, ce qui permet­tra de contes­ter les déci­sions abusives d’octroi du taux coha­bi­tant. Nombre d’organismes sociaux concluent trop vite à la coha­bi­ta­tion, sur le simple constat que les inté­res­sés partagent un loge­ment ou règlent ensemble un loyer. Or, cela ne suffit (évidem­ment) pas ! Il n’y a coha­bi­ta­tion en effet que lorsque les personnes « vivent sous le même toit » et « règlent prin­ci­pa­le­ment en commun leurs ques­tions ména­gères ». Cumu­la­tive, cette double condi­tion a béné­fi­cié des précieuses préci­sions des cours et tribu­naux. À titre d’exemples : la néces­sité de parta­ger des espaces signi­fiants (la chambre par exemple, et non pas simple­ment la cuisine, le séjour ou encore les sani­taires), la mutua­li­sa­tion des dépenses (habille­ment, soins de santé, nour­ri­ture et non simple­ment les charges et le loyer), la mise en commun des ressources (dans une espèce de cagnotte centra­li­sée), la réali­sa­tion à plusieurs de tâches domes­tiques (courses, prépa­ra­tion des repas, entre­tien du bien, …).

Refu­ser le lien entre loge­ment à la même adresse et cohabitation

Les critères de la coha­bi­ta­tion requièrent des orga­nismes sociaux qu’ils procèdent à un examen au cas par cas de la situa­tion de chaque deman­deur d’aide, aux fins de véri­fier la présence (ou non) de chacun de ces divers éléments. A contra­rio, se baser sur la seule consta­ta­tion d’une adresse commune, par exemple, ne saurait en aucun cas suffire (pour déci­der d’une coha­bi­ta­tion). On sait cepen­dant que, par faci­lité, ONEM et CPAS se permettent parfois de puiser dans les données tirées de la domi­ci­lia­tion pour déter­mi­ner l’existence d’une cohabitation.

Invo­quer le carac­tère collec­tif du logement

L’administration fédé­rale de l’Intérieur a aménagé un régime parti­cu­lier au béné­fice de ceux qui habitent dans des loge­ments dits « collec­tifs ». Dans ce cas-là, les prin­cipes géné­raux sur l’inscription domi­ci­liaire « ne s’appliquent pas », ce qui ne peut qu’être inter­prété comme auto­ri­sant une certaine souplesse.

Deman­der une sous-numérotation

Autre parade : deman­der à la commune de procé­der à une sous-numé­ro­ta­tion (« Si sur la base des éléments de fait susmen­tion­nés, il est constaté que l’habitation se compose de plusieurs unités d’habitation sépa­rées, la commune prévoit un [des] numéro[s] d’habitation supplémentaire[s] »).

Deman­der, à défaut, un TI 141 « non apparenté »

Si la demande de sous-numé­ro­ta­tion devait échouer, il est toujours possible alors de récla­mer à la commune, faute de « TI 140 » (code donné à la personne dite de réfé­rence du ménage), un « TI 141 non appa­renté », statut montrant ainsi aux orga­nismes sociaux qu’il n’existe aucun lien d’alliance ou de parenté entre les inté­res­sés et, par là, accré­di­ter l’idée que les diffé­rents rési­dents ne vivent pas en cohabitation.
Invo­quer les excep­tions récentes.

© Tim Gouw – Unsplash​.com

Contrai­re­ment à une idée reçue, l’idée même du statut de cohabitant·e n’est pas intan­gible, ni inscrite dans les astres. Diverses modi­fi­ca­tions légis­la­tives plus ou moins récentes en ont écorné le prin­cipe et ce, pour les diverses allo­ca­tions sociales. Par exemple, la caté­go­rie coha­bi­tant a disparu en 2022 pour l’allocation de chômage des travailleurs des arts. On a « immu­nisé » en 2021 le revenu de l’individu avec lequel la personne handi­ca­pée forme un ménage (pour le calcul de son allo­ca­tion d’intégration), ce qui a oppor­tu­né­ment conduit à abolir le « prix de l’amour ». En 2013, il a été décidé de ne pas tenir compte, pour le calcul de la garan­tie de reve­nus aux personnes âgées (GRAPA), des ressources et pensions de la personne (autre que le conjoint) avec laquelle le ou la béné­fi­ciaire partage sa rési­dence principale.

Enfin, la souplesse a été de mise lors des récentes crises succes­sives (accueil des réfu­giés ukrai­niens, relo­ge­ment des sinis­trés des inon­da­tions de l’été 2021, coro­na­vi­rus), aux fins de main­te­nir le taux isolé des héber­geurs comme des héber­gés. Et si (en guise de conclu­sion), plutôt que de conti­nuer à multi­plier les excep­tions, on s’attelait à chan­ger la philo­so­phie du système, en éradi­quant le statut de cohabitant·e pour tous ?

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