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Stéphane Hauwaert,
coordinateur du service Animation
Qui a tort, qui a raison ?
Cette question, si elle peut sembler simple, candide, interroge en réalité les bases de nos sociétés et de notre capacité à nous organiser en vie commune. Le but premier de l’exposition Illusions — qui a tort, qui a raison ? est d’interroger notre rapport au monde et aux autres en commençant par explorer, et dans un premier temps à expérimenter de façon ludique et étonnante, notre rapport à nous-mêmes.
Nous connaissons-nous aussi bien qu’on pourrait le penser ? Peut-on se fier à nos sens, à notre perception, à notre lecture de ce qui nous entoure ? Comme l’explique très bien Albert Moukheiber, parrain de l’exposition, dès les interactions et observations les plus basiques, on se rend rapidement compte à quel point les perceptions, interprétations, relations avec les choses diffèrent d’une personne à l’autre. Comment dès lors, si on en élargit les implications qui sont exponentielles en raison de la complexité du monde, faire société ?

Ce qui est crucial, c’est de s’accorder sur des fondamentaux, pour ensuite composer avec les dissensus, les différences, sans tomber dans cette essentialisation de plus en plus présente dans les échanges. On observe malheureusement, de plus en plus régulièrement et indifféremment des idées défendues, que dès lors que l’on diffère sur un point précis, plus rien n’est possible en commun. Car s’il est important de se trouver des fondamentaux communs, il est tout aussi important d’éviter que tout devienne fondamental pour l’un et pour l’autre, sans quoi faire société ensemble deviendrait impossible. Alors que l’on peut parfaitement être d’accord sur la plupart des autres sujets ou domaines.
Si rien n’est nouveau en soi dans ce que l’on peut observer actuellement dans quantité de domaines, force est de constater qu’un récit simpliste et polarisant, basé sur des slogans et des raccourcis fait de plus en plus recette partout et que le recul de la démocratie telle que nous la souhaitons est réel et, de notre point de vue, particulièrement interpellant. Nous faisons face à une montée de discours, positionnements et politiques identitaires, dans lesquels les opinions de certains sont érigées en identité déterminante, au lieu de rester une composante d’un tout plus complexe. Même lorsqu’il s’agit de défendre des causes nobles, c’est une dérive dangereuse pour nos démocraties.
N’est-il pas primordial de se comprendre soi-même pour mieux comprendre l’autre, et inversement ? De savoir être indulgent ? Nous avons tendance à percevoir les choses en fonction de qui nous sommes et de notre expérience personnelle. Face à des situations ambigües, complexes, nouvelles, notre tendance naturelle est une lecture qui nous ramène à appréhender ces situations tel que l’on est, avec ce que l’on connaît, avec nos routines et nos habitudes. C’est pareil dans la plupart de nos relations sociales qu’elles soient professionnelles, amicales, dans le couple ou en politique. Devant des situations plus habituelles, moins exceptionnelles ou plus ancrées dans nos quotidiens, nous avons une tendance bien plus aisée au consensus ou à des comportements similaires, moins potentiellement conflictuels.
Et si le débat d’idées, les désaccords acceptables, le dissensus, la capacité à douter de soi, l’envie et la pratique de partir de ce qui nous rassemble plutôt que de ce qui nous sépare étaient (à nouveau ?) le point de départ de notre vision d’une société plus juste et égalitaire ?
(…) C’est dans le dialogue et la pluralité des discours que l’on peut établir un socle commun.
C’est dans le dialogue et la pluralité des discours que l’on peut établir un socle commun, qui nous permette d’avancer ensemble et de faire société. L’idée n’est évidemment pas de tomber dans un piège de fausse équivalence, de nourrir une idée tout aussi dangereuse que toute opinion où tout se vaut. La nuance est plus que jamais essentielle. Pour cela, l’éducation à l’esprit critique, à une pensée rationnelle mais qui ne se dédouane pas de l’émotionnel, au contraire, qui le comprend et l’intègre à la réflexion est une des voies à emprunter. C’est ce que nous défendons et nous efforçons de proposer depuis de nombreuses années. Ce n’est pas dans une tentative vaine d’objectivité absolue, par essence leurre, mais bien dans notre acceptation et notre compréhension de nos subjectivités mutuelles que résident toute la richesse et la force de la diversité.
Faire société ce n’est pas être « tous d’accord » sur tout. Ce serait une position extrêmement dangereuse, qui est par ailleurs celle que font miroiter les totalitarismes de tous bord. Ce qui est crucial, c’est de s’accorder sur des fondamentaux, pour ensuite composer avec les dissensus, les différences, sans tomber dans cette essentialisation de plus en plus présente dans les échanges. Pour ce faire, favoriser le travail interdisciplinaire, entendre les avis éclairés, les opinions contradictoires, partager les expériences est primordial.
Arriver à des désaccords sains, définir des fondamentaux qui ne soient pas essentialisants, qui ne rendent pas le dialogue et la cohabitation impossibles, c’est là tout le propos de l’exposition, au départ d’expériences ludiques, sans posture sentencieuse ou moralisatrice, et encore moins en disant aux uns et aux autres comment penser.
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