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Bernard Fournier,
maître-assistant à la Haute École de la Province de Liège
La socialisation, processus de construction de l’intérêt politique
Selon Annick Percheron, on ne naît pas intéressé à la politique, on le devient (Percheron, 1993). Cette idée de construction nous a toujours paru fondamentale et doit être au centre de toute réflexion sur la logique de la participation des citoyens à la vie politique.
Les capitaux économiques, sociaux et culturels dont parle Pierre Bourdieu dans toute son œuvre ont toujours constitué pour les chercheurs les principaux outils de socialisation favorisant l’intérêt et l’engagement politique (Bourdieu, 1980). La famille, l’école, les groupes de pairs et groupes d’amis, mais également les médias, les entreprises, les administrations et les associations sont généralement considérés comme les principales instances de socialisation.
Cependant, si on peut facilement croire, par exemple, que les personnes les plus engagées en politique viennent souvent de familles déjà engagées (Ysmal, 1985), la compréhension des réalités sociales et surtout des dynamiques de la participation et de l’engagement est beaucoup plus complexe. Les mécanismes qui forgent les intérêts à la politique ne s’inscrivent pas dans des explications de type déterministe, comme s’il s’agit d’avoir été en contact avec des lieux de socialisation politique particuliers pour en être automatiquement imprégnés. Dans ses recherches chez les enfants, Jean Piaget, entre autres, a justement suggéré que chaque individu, au-delà de son adhésion concrète à des groupes ou à des environnements singuliers, crée également sa vision du monde dans un processus dialectique avec son environnement (Fournier, 2008). Les relations de socialisation ne sont pas à sens unique comme les études pionnières semblaient le suggérer (Hyman, 1959), selon une logique où les individus (et singulièrement les jeunes) sont envisagés comme des « réceptacles passifs ». Si personne ne remettra en cause l’importance de la famille dans la construction des univers de référence de chaque individu, par exemple, il est fondamental de dépasser les tendances majoritaires pour comprendre la réalité des mécanismes de socialisation (Percheron, 1981 ; 79).
(…) au-delà de connaissances factuelles à acquérir, il nous semble encore plus nécessaire de développer largement des outils encourageant l’apprentissage politique au sens large du terme (…)
Cette perspective est cruciale pour mieux saisir – surtout dans une époque valorisant une vision individualisante des processus d’insertion des individus dans la dynamique sociale (Martuccelli et de Singly, 2009) – la portée d’initiatives visant à encourager une plus grande participation des citoyens dans nos sociétés politiques marquées par un fort cynisme (Muxel, 2010). C’est pourquoi, au-delà de connaissances factuelles à acquérir, il nous semble encore plus nécessaire de développer largement des outils encourageant l’apprentissage politique au sens large du terme : apprendre à prendre parti, à intervenir, à discuter – apprendre, en quelque sorte, à prendre sa place dans la société et dans la vie politique, ce qui est loin d’être donné pour la grande majorité des jeunes, voire même de nombreux adultes. Voilà pourquoi des apprentissages comme le proposent les cours de philosophie et la citoyenneté de la Fédération Wallonie-Bruxelles dans l’enseignement fondamental et secondaire sont à encourager pour le développement de réelles compétences de participation (2023). Il y va de notre avenir.
Bourdieu, P. (1980). Le Sens pratique, Minuit, 1980.
Fédération Wallonie-Bruxelles (2023), Enseignement, Cours de philosophie et de citoyenneté (http://www.enseignement.be/index.php?page=27915&navi=4429).
Fournier, B. (2008). Socialisation politique et mosaïque des possibles : l’apport de Jean Piaget, in D. Vrancken, C. Dubois et F. Schoenaers (dir.), Penser la négociation. Mélanges en hommage à Olgierd Kuty, De Boeck, 83–91.
Hyman, H. H. (1959). Political Socialization. A Study in the Psychology of Political Behavior, Glencoe, The Free Press.
Martuccelli, D. et F. de Singly (2009). Les sociologies de l’individu, Armand Colin.
Muxel, A. (2010). Avoir 20 ans en politique. Les enfants du désenchantement, Seuil.
Percheron, A. (1981). « Les études américaines sur les phénomènes de socialisation politique dans l’impasse ? Chronique d’un domaine de recherche ». L'Année sociologique XXXI : 69–96.
Percheron, A. (1993). La socialisation politique (textes réunis par N. Mayer et A. Muxel), Armand Colin.
Ysmal, C. (1985). « Élites et leaders », Traité de science politique, M. Grawitz et J. Leca (dir.), tome III, L’action politique, PUF : 603–642.